Groupe régional de psychanalyse
 

L'hystérie aujourd'hui,  Remarques conclusives et synthèse

Moustapha Safouan Congrès de la fondation européenne pour la psychanalyse

Marseille, 27-29 octobre 2000

 

Je ne voudrais pas paraître trop ambitieux. À la rigueur, je pourrais tout juste faire état de certaines impressions qui me sont venues à l'esprit à la lecture des textes qu'on nous a remis.

Certains de ces textes m'ont fait penser à l'histoire… C'est l'histoire d'une noire américaine activiste qui militait pour l'égalité entre les noirs et les blancs et entre les hommes et les femmes. Cela remonte à 1852. Au cours d'une réunion à laquelle elle assistait, autour de ces questions, elle a été conduite à interpeller quelqu'un qui venait sans doute de prendre la parole. En ces termes, elle dit : "Cet homme noir qui est là-bas, il prétend que les femmes ne doivent pas avoir les mêmes droits que les hommes parce que Jésus-Christ était un homme et non pas une femme. Est-ce qu'il sait d'où vient Jésus? Il vient de Dieu, de la Sainte Vierge et les hommes n'ont rien à faire là-dedans".

Evidemment quand on pense à cette histoire la réaction est de se dire: "ma foi l'hystérique est toujours l'hystérique, elle ne changera jamais, elle revendiquera toujours le père symbolique au sens du père qui est égal à son nom ou à toutes les significations de son nom et c'est même là le trait qui sépare radicalement l'hystérie quelles que soient ses formes de tout ce qui est de l'ordre de la psychose parce qu'il s'agit chez elle d'une dégradation du symbolique mais non pas d'une forclusion. Je parle de dégradation parce que pour revendiquer ce père symbolique il faut bien qu'elle l'imagine.

C'est au point qu'on peut dire avec Melman que l'hystérique veut bien du père réel, veut bien du père imaginaire mais du père symbolique, il n'en est pas question. On peut le dire à condition de préciser: il n'en est pas question à force de l'imaginer. Et cela pose la question : quelles sont les formes imaginaires qu'elle prête à ce père?

Il y a Freud qui a décrit l'attachement de l'hystérique à ce qu'il appelle l'autre préhistorique sans rival et que nul ne parviendra jamais à égaliser. On peut dire qu'il y a là une des figures du signifiant maître, de ce que nous appelons maintenant avec Lacan "le signifiant maître". Mais comme l'a remarqué Gérard Pommier, cette figure du maître est une figure quand même culturelle, variable historiquement, et on peut donc poser la question : qu'en est-il de l'hystérie aujourd'hui?, si tant est que nous admettons que cette névrose varie en fonction de cette figure du signifiant maître. Il n'y a aucune contradiction entre cette question et l'affirmation que l'hystérie est toujours l'hystérie et qu'elle ne connait ni hier ni aujourd'hui, parce qu'après tout il n'y a pas de changement qui ne postule une certaine permanence.

Si l'image n'était pas trop simplette je dirais que c'est le même serpent qui change de peau. Alors, pour ce qui est de la figure du maître aujourd'hui, il n'y a guère de doute que ce signifiant s'incarne aujourd'hui dans l'homme de la science. La différence entre Dieu et l'Homme de la Science est que Dieu répond à toutes nos prières, l'Homme de la Science, lui, répond à toutes nos demandes. Mais justement, plus la science offre des facilités pour satisfaire la demande de l'enfant ou la demande de maternité, plus le désir se rebiffe, ce qui veut dire que plus s'aggravent les difficultés qui se posent pour l'hystérique sur ce chemin là. Ce sont des difficultés que l'on peut lire à travers beaucoup de communications, beaucoup de textes que nous avons lu et entendu, par exemple ceux de Daniel Bordigoni, de Marisa Fiumano, de Virginia [Hasenbalg] et bien d'autres.

Mais un phénomène qui mérite qu'on y prête attention, c'est le caractère quasi généralisé que prennent ces phénomènes aujourd'hui. C'est au point qu'il y a un analyste américain, de langue anglaise en tout cas, qui a parlé dans un livre récent de ce qu'il a appelé une épidémie de l'hystérie. Le terme d'épidémie est d'autant plus juste qu'il y a une différence entre épidémie et la formation d'une collection ou d'une collectivité. Il y a donc sur ce point là une épidémie et cela nous permet peut-être de conclure avec Charles Melman qu'à l'heure actuelle, c'est à dire plus la figure imaginaire du maître se manifeste comme réelle, plus l'hystérie, plus se répand en tout cas le troisième mode de l'identification qui selon Freud est spécifique de l'hystérie à savoir identification fondée sur la communauté du désir.

Et d'ailleurs tout cela se confirme si on regarde par exemple ce qui en est de l'avortement. L'avortement est un phénomène connu dans toutes les sociétés humaines et on le pratique soit pour des raisons économiques, soit sociales, ou de simples croyances, par exemple, on peut imposer l'avortement à une femme enceinte parce qu'on pense qu'elle porte deux jumeaux et que l'un d'eux sera un monstre. Mais tout cela n'empêche pas que l'avortement était un drame individuel et non seulement cela mais, à part le cas où l'on imposait pour des raisons prophylactiques si je puis dire, il entraînait une responsabilité pénale quand il n'était pas lui- même imposé comme une pénalité. C'est par exemple le cas d'un mari qui exige l'avortement de sa femme parce qu'il a des raisons de penser que c'est un amant qui l'a fécondée. Mais à l'heure actuelle on voit que l'avortement prend des proportions telles que cela suscite en Amérique des forces anti-avortement si je puis dire, assez formidables, au point que cette question devient maintenant un des enjeux majeurs de la campagne présidentielle qui se déroule actuellement aux Etats-Unis.

On peut dire la même chose concernant la chirurgie esthétique qui, après tout, se fonde sur la prétention de vous donner l'image que l'autre aime voir en vous, c'est à dire en bref l'image qui le ferait, cet autre, se pâmer devant vous. Mais enfin des réflexions de ce style sont nombreuses et me sont venues à l'esprit encore une fois à la lecture de certains textes… Mais il y avait tout un pan d'autres textes qui abordait la question de l'hystérie par le biais de la notion de jouissance et de celle des formules de la sexuation. Je dois dire que j'ai été arrêté dans la lecture de ces textes . Je n'ai pas pu les suivre pour la raison que chacune de ces notions, qu'il s'agisse de la jouissance ou des formules de la sexuation, me pose une question à laquelle je n'ai pour le moment pas de réponse.

Commençons par la jouissance: c'est une notion dont j'admets, je vois très bien la nécessité, elle s'impose si on veut résoudre le problème de l'opposition des deux principes de l'activité psychique, du fonctionnement psychique. Il y a peut être une autre solution possible, ça n'exclut pas la possibilité d'une autre solution, peut être qu'un autre Lacan la trouvera cette autre solution, mais pour le moment nous n'avons que celle de Lacan. Le problème c'est d'abord le suivant, c'est que les 2 principes de plaisir et de réalité sont présentés comme 2 principes opposés, et en même temps Freud nous dit que le principe de plaisir n'est qu'une variété, qu'une forme du principe de plaisir , une forme requise pour en assurer le succès. Donc c'est un... on peut dire que 2 principes ne peuvent pas être à la fois opposés et complémentaires. Mais la contradiction se résout d'une façon élégante si on introduit la notion de la jouissance, définie comme quelque chose de plus que le plaisir, au regard de quoi le principe de plaisir ou de réalité sera défini comme un principe de moindre plaisir. Avec cela la dualité de procès est préservée sans contradiction et d'ailleurs cette dualité, cette notion de jouissance, on la trouve dans le texte même où Freud parle de la pulsion sexuelle ou de vie en citant Goethe, lequel Goethe insiste sur la différence toujours incomblable entre la satisfaction recherchée et la satisfaction trouvée.

Jusque là ça va très bien, jouissance devient synonyme de jouissance phallique et après tout la castration met tout un chacun devant un choix: ou bien il choisit de choisir sa castration ou bien il assume ce qui se pointe dans cette castration comme manque, dont il fait le complément du manque de l'autre. Et dans cette perspective, on peut parler, pourquoi pas, d'un au delà de la jouissance phallique mais cet au-delà, sera tout simplement un retour à l'en-deçà. Autrement dit, parler de l'au-delà de la jouissance phallique, ça désignerait dans cette perspective toujours, une opération tout à fait comparable à ce qui s'appelle par ailleurs la traversée du fantasme. Seulement voilà, il semble, selon toute apparence, que Lacan lorsqu'il parle de l'au delà de la jouissance phallique, il l'entend dans un autre sens. Alors quel est cet autre sens qui semble être celui qu'il suggère? Je n'ai pas encore une réponse nette à cette question . Voilà un premier arrêt.

Je passe donc à la question du problème de la formule de la sexuation: ce qui vient au premier plan évidemment c'est le "pas tout". Ce qui se dit en latin "non omnis" ou en anglais "not all" qui se traduit d'ailleurs de deux façons en français "pas tous" ou "pas tout". On peut dire "il n'est pas vrai que tout homme soit mortel", on peut dire "qu'il n'est pas vrai que tous les hommes soient mortels". Dans les deux cas, ça se traduira par "not all". Concernant ce "not all", la question se pose : qu'est ce que ce quantificateur introduit comme nouveauté? Je veux dire qu'elle est la différence entre "not all" et ce qui s'appelle la négative particulière? Autrement dit, quelle est la différence entre dire "pas toutes les femmes ont l'envie de pénis" et de dire "quelques femmes n'ont pas l'envie de pénis".

Apparemment, on ne voit pas la différence, on ne voit pas en quoi le "pas toutes" serait un quantificateur inédit comme si on avait découvert un nouveau continent. Et pourtant, je présume qu'il y a là quelque chose là dedans, parce qu'on ne peut pas prendre, quand on voit ces avancées théoriques, on ne peut pas dire que Lacan ne soutient pas à fond ce qu'il dit. En tout cas, le fait est que, la réponse à cette question jusqu'à maintenant, je n'en ai pas encore une idée claire.

Il y a d'ailleurs une ambiguïté au niveau de ce "pas tout" ou "not all" comme on voudra, c'est que le terme même de "tout". Là il est assez ambigu parce qu'il peut évoquer la collection ou la collectivité comme on dit par exemple : "Toutes les femmes viennoises, à l'époque de Freud, avaient l'envie de pénis", mais il peut aussi avoir le sens de l'universel lorsqu'on dit que "toutes les femmes ont l'envie de pénis". Alors, est-ce qu'au niveau de ce "pas tout", est-ce qu'il s'agit d'un quantificateur unitif, collectif ou bien collectivant ou bien il s'agit de l'universel. Là aussi, c'est une question qui reste ambiguë.

C'est pour vous dire donc les raisons pour lesquelles je n'ai pas pu suivre ces textes-là. Pour conclure je dirai qu'il y avait des textes qui m'ont suggéré certaines réflexions… qui ont leur prix et il y avait d'autres textes qui m'ont donné le souhait qu'on mette à la question les signifiants de Lacan avant de s'en servir. Pour le moment, le temps est pour les perspectives.

 

_____________________ © Moustapha Safouan  



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